« Baptisez-les tous, le Seigneur reconnaîtra les siens »
Les bonnes feuilles du livre "Je ne crois plus comme avant" de Joseph Tanden Diarra
Au cours de ce mois de mai, j’ai eu l’opportunité de visiter la ville de San au Mali pour la première fois. Ça a été l’opportunité d’apprendre certains éléments de la culture des Bwa, mais surtout rencontrer et de discuter avec Joseph Tanden Diarra, un des intellectuels les plus prolifiques du Mali. C’est avec générosité qu’il nous a fait visiter sa riche bibliothèque à la Maison des Aînés de Parana, où il vit sa retraite entre lectures et écriture. Prêtre catholique du diocèse de San depuis 1983, « Jo » comme l’appellent les intimes, a occupé des fonctions importantes au sein de l’église catholique du Mali et d’ailleurs. Il est secrétaire général de la Conférences épiscopale du Mali de 1994 à 2003. Docteur en Histoire de l’Université Paris 1, Joseph Tanden Diarra travaille ensuite à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest, dont il est chargé de créer l’Unité universitaire de Bamako en 2006. Il dirige cette université de 2015 à 2020, avant de faire valoir ses droits à la retraite. Joseph Tanden Diarra est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont plusieurs publiés sous le pseudonyme de Niakan Ha’iri Diarra. Parmi ses titres les plus marquants, citons : Silence, on boit. Journal d’un prêtre malade alcoolique (2002) ; Et si l’ethnie Bo n’existait pas ? Lignages, clans, identité ethnique et sociétés de frontière (L’Harmattan, 2008) ; Silence, on socia-lyse. Ce prêtre venu du paganisme (La Sahélienne, 2012) ; Djihad, l’autre guerre (La Sahélienne). Plus récemment, il a publié Je ne crois plus comme avant, Petit essai sur la violence religieuse en pays Bo (Yèrèdon, 2022) où il questionne notamment la violence physique et symbolique qui a accompagné l’implantation du christianisme dans le Bwatun (Pays des Bwa). J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre que l’auteur lui-même considère comme son « ouvrage le plus abouti ». Il y pose un regard lucide, sans complaisance, sur certaines pratiques de l’Église catholique en Afrique, encore marquées par l’héritage colonial. Bien que centré sur le pays Bo, ce livre soulève des questionnements universels, valables pour l’ensemble des Églises africaines. Avec l’accord de l’auteur, j’ai décidé de partager les bonnes feuilles de ce livre dans cette newsletter.
Si aujourd’hui au Mali, ou disons, au diocèse de San, nous sommes si peu nombreux comme baptisés après tant d’années de christianisme, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous nous-mêmes. Nous avons fait du baptême une sorte de « prix de l’excellence ».
Quand à partir de septembre 1990, j’ai été en charge pastorale à la paroisse Saint Eloi du XIIè Arrondissement de Paris, et quand j’ai vu comment les prêtres racolaient les gens à faire baptiser, je me suis demandé si nous étions, eux et nous à San, dans la même Eglise Catholique, s’il s’agissait du même baptême. En effet, des gens dont on ne connaissait rien des antécédents, une formation à la va-vite, des concessions sur tout ce qui pourrait bloquer le baptême, bref, à Saint Eloi, on est à genoux devant chaque personne qui fait semblant de s’intéresser au christianisme.
Dans mon diocèse de San, mon Dieu, c’est pire que le temps de l’Inquisition. On creuse ta vie jusqu’à la troisième génération alors que tu as déjà à ton actif au moins quatre années de formation (si tu n’as pas doublé l’une ou l’autre étape) ; on scrute ton environnement comme si tu étais promis au mariage avec la petite sœur du Pape Jean-Paul II ; et surtout, on scrute ton mariage pour être sûr de n’y trouver aucune trace passée, actuelle ou à venir de polygamie.
Si déjà ton père était chrétien-polygame, ton cas est grave, on se dit que ce démon-là, il se transmet par les gènes, il faut donc faire attention et soupeser ton mariage sur toutes les coutures pour être sûr que tu n’as pas caché dans un pli des pourparlers une intention manifeste d’être polygame un jour.
Si tu es jeune et que tu n’es pas encore marié, ton cas est clair, tant que tu n’es pas marié (garçon ou fille), on ne peut pas se risquer à te donner le baptême, ce serait vraiment prendre des libertés avec ce sacrement tellement sacré, le Christ a bien dit de ne pas donner les perles aux pourceaux, non ?
Si en plus tu viens d’une famille dite « païenne », ton cas est réglé très vite, on te dit que quand tu auras pris femme et fait écrire noir sur blanc que tu te maries en régime monogamique, et que tu auras juré sur la Bible que tu vas respecter cette parole écrite, c’est seulement à cette condition que tu pourras prétendre à ce sacrement tellement sacré.
En plus d’être le sacrement de ceux qui « savent leur catéchisme », le baptême est devenu tellement inaccessible que bien des jeunes qui voulaient se faire chrétiens ont baissé les bras ; bien de garçons et filles mariés, mais pas dans les termes entendus par l’Eglise, sont partis sur la pointe des pieds. Aujourd’hui on nous dit que les Chrétiens ne sont que 2 % au Mali, mais, c’est la faute à nous les prêtres qui avons toujours mis la barre trop haut comme si le baptême, être chrétien était la « chasse gardée » des purs, des saints. Comment en sommes-nous arrivés à faire de ce don de Dieu une sorte de « prime à la monogamie » ?
Les missionnaires ont voulu faire de nous, d’abord des saints, avant de nous donner leur baptême et aujourd’hui encore, nous continuons cette pratique. Où est la foi de celui qui baptise en tout ça ? A Saint Eloi, en plein cœur de Paris, je suis à genoux devant toute personne qui s’intéresse au christianisme dans l’espoir de la baptiser à la Pâques prochaine et dans mon diocèse de San, des hommes et des femmes attendent par milliers devant la porte du baptême depuis des décennies et moi je dis : tant que je ne serai pas sûr que vous serez des saints demain, je ne peux vous baptiser aujourd’hui! Nous sommes dans quelle Eglise là ?
Si les chrétiens sont encore si peu nombreux dans l’Eglise du Mali aujourd’hui avec plus d’un siècle d’évangélisation, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes, peut-être. Qu’on ne vienne pas nous distraire avec la légendaire prudence ou de règles pastorales à appliquer! Qui sommes-nous pour « fermer la porte devant tous ceux-là qui veulent entrer dans la maison de Dieu » ? Quand je vois aujourd’hui la qualité de vie des chrétiens et celle des « païens », je me dis, tant qu’à faire, autant les baptiser tous, le Seigneur ne reconnaîtra-t-il pas les siens lui-même ? C’est ainsi que, voulant à tout prix faire le tri parmi les « baptisables » au nom de Dieu, nous en sommes venus à « défendre Dieu » en combattant tous ceux-là qui ne pratiquent pas, ou ne croient pas comme nous : c’est ça le venin du djihadisme! En effet, où est la différence entre le djihadiste aujourd’hui qui se fait exploser en public et mon humble personne qui, hier lapidait allègrement le pasteur protestant, tout simplement parce qu’il est protestant ?
Sus, aux protestants!
J’étais encore tout jeune catéchumène dans ma paroisse, au village. Il fait si bon vivre à cet âge-là où on s’approprie toutes les causes, qu’elles soient nobles ou pas. C’était donc un petit soir, l’astre diurne avait commencé à rougir l’horizon. La mission était en construction, tout un chantier où les journaliers commençaient à s’asperger d’eau avant de rentrer à la maison pendant que le chef maçon en était encore à donner des ordres sonores à celui qui devait arroser les nouvelles constructions pour parfaire la solidité du béton des bâtiments. Enfants, nous appréciions venir nous ébattre sur les tas de sable d’où nous étions régulièrement chassés à coup de trique inopérant.
C’est alors que tous, nous nous préparions à rentrer au village que le véhicule est apparu sur la route. En ces années-là, 1960 et quelques, un véhicule dans un village comme le nôtre est un évènement, en un rien de temps, tout le monde s’est retrouvé entourant la voiture, d’autres, la regardant de loin. C’était un Blanc dans la voiture, sans doute, une personne égarée qui voudrait demander sa route! C’est alors que la rumeur a commencé à enfler : C’est Monsieur Baumann, c’est un protestant, c’est le pasteur protestant. En un rien de temps, les cailloux ont commencé à pleuvoir sur la voiture avant même que l’occupant ait eu le temps d’ouvrir la bouche. Le bruit s’est répandu très rapidement au village et les gens ont commencé à monter du village pour lapider le protestant. J’étais tout petit, je ne savais pas pourquoi il fallait lapider le pasteur protestant, mais comme j’étais catéchumène, il fallait montrer du zèle, je me suis mis à lapider aussi le pasteur Baumann.
Aucun père n’a donné de consigne pour que nous lapidions le pasteur protestant, mais les discours entendus, l’apprentissage de la haine de celui qui croit autrement feront le reste. Pourquoi ? Peut-être parce qu’on nous avait enseigné qu’ils étaient dans l’erreur théologique et qu’il fallait tout faire pour les empêcher de s’implanter dans notre village. La réforme protestante ? Nul n’en a jamais entendu parler dans mon village. Le massacre de la Saint Barthelemy ? Non plus. Ce qui est sûr, les missionnaires ont transporté chez nous toutes les tares et les crises et autres inimitiés entre religions chez nous. Dans une société où on n’avait jamais connu de guerre de religions imaginez un peu ces familles où musulmans, catholiques et protestants se côtoyaient et qui étaient désormais sommés de s’entre haïr!
Après ou avant ces envolées lyriques de nouveaux croyants à Touba, il y eut beaucoup de guerres de religions que nous ignorions dans nos contrées parce que nous n’avions pas de religion prosélyte, notre religion locale s’accommodait de toutes les différences et du reste, elle n’avait aucun credo à faire réciter avant de couper ou non une tête. Il y eut les croisades au Moyen Age et les religions révélées nous ont révélées l’hideux visage de l’intolérance. Parlant du Levant, ces lieux où les vieilles cultures de l’Orient méditerranéen ont fréquenté celles, plus jeunes, de l’Occident, Amin Maalouf nous informe que « si les ressortissants des diverses nations et les adeptes des religions monothéistes avaient continué à vivre ensemble dans cette région du monde et réussi à accorder leurs destins, l’humanité entière aurait eu devant elle, pour l’inspirer et éclairer sa route, un modèle éloquent de coexistence harmonieuse et de prospérité. C’est malheureusement l’inverse qui s’est produit, c’est la détestation qui a prévalu, c’est l’incapacité de vivre ensemble qui est devenue la règle ».
Nous vivons aujourd’hui dans le sillage de cette détestation née peut-être il y a deux mille ans entre les gens du Livre (juifs, chrétiens, musulmans). D’aucuns voudraient nous faire accroire que ce djihadisme-là est né aujourd’hui avec l’Afrique musulmane, alors qu’il a germé pour un peu, en terre sainte alors que, déjà, juifs, chrétiens et musulmans se massacraient pour l’occupation de quelques arpents de terre, fussent-ils des lieux dits saints! L’Occident chrétien et l’Orient musulman, après avoir contaminé le monde entier par le péché originel de l’intolérance propre aux religions qu’ils ont exportées, continuent à nous pourrir la vie par des guerres qui ne nous concernent pas en pays Bo, en tous cas. Parallèlement à cette « guerre sainte » contre les protestants et les musulmans, celle contre la sexualité du nègre allait aussi de pair avec la guerre contre ce qu’on appelle le « fétichisme », cette habitude qu’a le Bo « d’adorer » les éléments inanimés de la nature.
Je pense que le Mali est un pays musulman. Comment les chretiens peuvent y vivre sans etre menaces?